01Femmes, muses et voluptés

02Un chant secret d’exil et de lumière

03La Bible et ses trésors

 

Femmes, muses et voluptés

Tentatrices merveilleuses, reines et prostituées , mères ou amantes, les femmes dans l’œuvre de Tobiasse ont participé à toutes les époques de sa peinture et de sa création.

A la pointe du crayon, de la brosse, mais aussi sous le feu des céramiques ou du bronze en fusion, elles ont surgi , nues ou parées , chargées de démesure qui les fit souvent déborder de la toile ou du cadre en une beauté à la fois simple et luxuriante.

Nous les découvrons majestueuses et sensuelles au travers des matériaux et techniques que l’artiste aborda durant toute sa vie de création : céramiques, dessins à la mine de plomb, peintures, pastels, coulures, sculptures, moulages, découpages. Ce « jeu avec les choses » qui lui fit triturer l’argile, , le plâtre et la filasse, la résine, le carton découpé déconstruit et reconstruit exorcisant ainsi les sortilèges enfouis au plus profond de son imaginaire.

Elles se transforment ainsi avec les Saltimbanques en créatures mi écuyère, mi amazone symbolisant la liberté et la fête en fusion, celle de la vie dans toute son excentricité et sa fantaisie. Egalement en Ménine dans un hommage à Goya ou encore en Leda amoureuse d’un cygne mythologique..

Avec le thème de la Femme ,Tobiasse raconte la mémoire de la vie avec des fragments d’images et de bribes de mots gravés dans ses tableaux. Un véritable fil conducteur exprimé comme un chant de sensualité auquel se juxtaposent les thèmes de l’exil et de l’errance, les réminiscences de sa Lituanie natale. Les neiges glacées, les rues bordées de maisons de bois, les traineaux enneigés , mais aussi les bateaux à roues illuminés sur le Niemen s’y mêlent alors en un magma poétique, parfois érotique. .On la retrouve également dans ses nombreux carnets de croquis et notamment dans les Carnets de Saint-Paul de Vence , concentré d’intimité créatrice, mélanges de dessins et d’écrits souvent nés au cœur de la nuit, à New York ou à Saint-Paul de Vence, mais aussi en avion ou tout simplement en voyage lorsque le temps se mettait entre parenthèses.

Symboles de la chaleur familiale et de la tendresse maternelle, on les retrouve également en mères bibliques, comme un hymne de gloire à la féminité.. Elles envahissent l’espace, pleines, gonflées de vie. Protectrices et séductrices, Babylonniennes ou anges de douceur, chacune représente toutes les autres comme des poupées gigognes.

« Elles y déploient leurs creux sombres et leurs grandes vallées silencieuses » écrit Tobiasse..

Il s’agit peut-être de Bethsabée, symbole de tous ces gens aux souvenirs cassés entre une vie vécue et une vie vécue.

En tous cas, c’est à Venise, sous le ciel de Paris, de Jérusalem ou de New York, lieux de prédilection et d’inspiration de l’artiste que se déploient ces pourvoyeuses de désirs, de démesure et de folies.. Surtout dès 1982, lorsqu’il installe son atelier en plein cœur de Manhattan. L’énergie et les vibrations ambiantes lui font créer des formats de plus en plus grands ainsi que des sculptures monumentales avec pour thème une femme de plus en plus immense comme dans les toiles « Femme assise sur un quilt » , « La femme qui marche » ou comme sa sculpture emblématique Myriam en bronze.

Mais c’est avec le dessin dont le trait est l’expression à l’état pur et brut de son art , épure quasi musicale, que Tobiasse n’a cessé toute sa vie de décliner le corps de la femme. Des œuvres souvent prolongées de mots picturaux et d’écrits fantasmagoriques pour encore mieux la célébrer…

 

Un chant secret d’exil et de lumière

Le thème de l’Exil est certainement celui qui aura le plus imprégné l’œuvre et l’âme de l’artiste.

Depuis la fuite de son pays d’origine la Lituanie, jusqu’à son arrivée en 1931 à Paris à la gare de l’Est un matin de brume d’hiver. « Le ciel était une toile grise tendue au dessus des mes angoisses de gosse ». Tous ces souvenirs l’envoûtent et le plongent dans un mystère tissé de fils invisibles à la fois inquiétants et merveilleux. Il a alors 5 ans, accompagné de sa mère Brocha et sa sœur Anna. Son père Chaïm est venu les chercher à la descente du train. L’enfant au cœur serré ne cessera jamais de faire transparaitre ce sentiment de nostalgie au travers de toute son œuvre.

L’exil, c’est aussi l’Exode en 39 lorsque la guerre éclate et que sa famille tente de fuir l’Occupation nazie vers les Etats -Unis. Malheureusement elle sera bloquée à la porte d’Orléans...

L’exil est également également synonyme de la Shoah avec la symbolique des roues, des trains, des gares qui roulent vers l’Est, vers les camps de la mort, des maisons que l’on doit quitter en vitesse...

On retrouve dans ses tableaux l’errance et les réminiscences de son enfance, de sa Lituanie natale. Kovno, avec ses neiges glacées et ses rues bordées de maisons de bois, ses traineaux enneigés et les bateaux illuminés sur le fleuve Niemen. Dans la datcha de son oncle Abraham, dans la campagne de Kaulatowa, toute la famille se réunissait autour du samovar, des théières chaudes et ventrues, symboles de la chaleur familiale et de la mémoire de son enfance.

Les différents exils comme ceux de Babylone, de Rome ainsi que celui de la diaspora déroulent leurs parcours à la manière d’un journal. Il nous transporte dans des mondes où se mêlent à la fois le tragique l’amour et le rêve.

 

La Bible

C’est en 1977 que Tobiasse découvre la Bible et commence à se passionner pour la beauté de l’histoire des Hébreux. Il y découvre un trésor de merveilles, une source inépuisable de sujets d’inspiration. Des histoires universelles d’amour, de guerre, de trahisons qu’il imagine comme une bande dessinée et grâce à laquelle il raconte inlassablement la Mémoire de son peuple. Il la transcrit en une Bible personnelle, unique, presque non religieuse.

Ses personnages vivent ainsi des situations d’aujourd’hui avec des noms bibliques d’hier comme par exemple la merveilleuse histoire d’amour du Cantique des Cantiques écrite par le roi Salomon pour la reine de Saba. De Bethsabée à Rachel, de Jacob à Deborah, ces icônes modernes d’une très ancienne tradition racontent dans ses oeuvres l’histoire de l’humanité.

Tobiasse développe ainsi dans son œuvre tourmentée et à travers elle, une recherche de ses racines. Il appartient à cette grande famille spirituelle qu’est le judaïsme et vit dans son expression picturale au jour le jour des évènements puisés dans l’histoire de ses ancêtres.

Pour autant, Tobiasse n’est pas un peintre biblique, il n’en est pas l’illustrateur « Je raconte une histoire ancienne, qui lorsqu’elle est celle de la Bible, me concerne. La Mémoire est si importante pour moi que je ne la montre presque pas dans mes tableaux. »

Jérusalem était pour lui plus une sensation qu’un lieu géographique, qu’un paysage. C’était un endroit qui vivait avec lui en lequel il avait trouvé aussi d’immenses ressentis d’inspiration, une lumière sacrée chargée d’histoire, un peu la même d’ailleurs que celle de Saint-Paul de Vence avec ses oliviers dorés par le soleil couchant.

Théo TOBIASSE